"Ils diront que j'ai mis les voiles
Depuis que j'ai mis le voile.
Je leur dirai que j'ai mis les voiles,
Car j'ai retiré le voile,
Que j'avais devant les yeux."
Mélanie
Y a au fond de la mer
Des montagnes, des ravins
Des villes, des cimetières
Y a des épaves dans la mer
Dans les creux
Parmi les joncs aux grands doigts
Y a des hommes dans la mer
Des femmes qui dorment
Y a des enfants dans la mer
Pour couvrir tout cela
Y a des vagues sur la mer
Buveuses de lune
Y a des écumes aussi
Des écorces, des lettres déchirées
Des fleurs à la dérive
Y a des oiseaux au-dessus de la mer
Des grands oiseaux blancs
Avec des yeux comme des gouttes d'eau
Des oiseaux sans voix
Qui tournent en rond le bec ouvert
Qui piquent soudain dans les flots immenses
Les ailes collées le long du corps comme deux bras
Qui bruissent en s'égouttant
Y a des grèves autour de la mer
Des coquillages et du sel
Et de vieux marins qui ne voguent plus
Qu'on a débarqués mais qui sont repartis
Dans des voyages sans escale
Y a le soleil sur la mer
Et toi au bord
Qui le regarde descendre dans l'eau
La Gaspésie - Félix Leclerc - 1951
[…]
Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,
Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,
S'envolent loin de nous de la même vitesse
Que les jours de malheur ?
Eh quoi ! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace ?
Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus !
Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,
Ne nous les rendra plus !
Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?
Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !
Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,
Au moins le souvenir !
[…]
Le Lac (extrait) - Alphonse de Lamartine
Weisensse, Berlin, 2019